Président du Sénat Haroun Kabadi

Par : Correspondant indépendant – Rédaction de Charilogone

Le 4 octobre 2025, à Kyabé, dans le sud du Tchad, un événement révélateur des tensions intercommunautaires et de la fragilité de l’État de droit s’est produit. À la suite d’un conflit entre éleveurs et agriculteurs ayant conduit à la mort d’un éleveur nomade arabe Zakawa le 23 septembre à Bébolo, le préfet du département du Lac Iro a convoqué une réunion de règlement. Étaient présents les représentants de l’Agence Nationale de Sécurité (ANS), de la Brigade de Surveillance Territoriale (BST), les chefs traditionnels Sara Kaba, le chef de canton Bali, et le représentant des éleveurs Zakawa. Sous la supervision du préfet, une décision fut prise : le chef de canton Bali devait verser une réparation de 21.700.000 FCFA à la famille de la victime, dont 5 millions furent immédiatement avancés.

Ce règlement, bien que signé par les parties, soulève une série de préoccupations majeures. D’abord, il s’agit d’un détournement manifeste des procédures judiciaires : une affaire d’homicide aurait dû être instruite par les juridictions compétentes, permettant à la population tchadienne d’assister à un procès équitable et transparent. Ensuite, le rôle du préfet, qui n’a ni autorité judiciaire ni pouvoir de contrainte légale dans ce cadre, interroge sur les dérives administratives et les intimidations exercées dans les zones rurales.

Ce cas met également en lumière une tension identitaire croissante. Les éleveurs arabes Zakawa, originaires du nord du Tchad, sont perçus comme des nouveaux venus dans le sud, où les éleveurs traditionnels sont les Peuls M’Bororo. Ces derniers sont reconnus depuis des générations par les populations locales et leurs chefs de ferrique.

L’arrivée des Zakawa est souvent interprétée comme une tentative d’appropriation territoriale, exacerbant les conflits avec les agriculteurs autochtones. La confusion entre les groupes d’éleveurs, l’absence de cadre juridique clair, et l’intervention de l’administration dans des affaires judiciaires contribuent à une crise de confiance envers l’État. Les citoyens réclament une justice indépendante, capable de trancher les litiges sans favoritisme ni pression politique. Le silence des autorités nationales, notamment du président de l’Assemblée nationale Haroun Kabadi, face à ces injustices, renforce le sentiment d’abandon et d’impunité.

La question centrale demeure : pourquoi ne pas aller en justice pour régler tout conflit ? Le recours à des règlements coutumiers ou administratifs, bien qu’ancré dans certaines traditions locales, ne peut se substituer à la justice formelle dans les cas de crimes graves. Le Tchad dispose d’un appareil judiciaire, certes fragile, mais dont le rôle est de garantir l’équité et la transparence. L’absence de procès public dans cette affaire prive les citoyens de leur droit à la vérité et à la réparation légitime.

Par ailleurs, le Sénat tchadien, récemment mis en place pour représenter les 23 provinces du pays, est censé jouer un rôle de régulation et de médiation dans les affaires locales. Or, dans le cas de Kyabé, qui est le fief du président du Sénat Haroun Kabadi, son silence est perçu comme une forme de complicité passive. La responsabilité politique du Sénat est engagée : il doit se saisir de ces conflits, enquêter, et proposer des réformes structurelles pour éviter leur répétition.

Le cas de Kyabé n’est pas un simple incident local. Il révèle les failles profondes de l’État tchadien dans la gestion des conflits, la protection des citoyens, et le respect des institutions. Pour restaurer la paix et la confiance, il faut une réforme judiciaire, une clarification des rôles administratifs, et une implication active des organes politiques comme le Sénat. La paix ne se décrète pas, elle se construit par la justice et la responsabilité. Et c’est là que réside le danger : le cas de Kyabé est la preuve que c’est précisément ce genre de règlement opaque et imposé qui prépare le terrain à une guerre civile au Tchad. Car lorsqu’on prive un peuple de justice, on l’expose à la vengeance, à la fragmentation, et à la violence.

 

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